Coachs en séduction : quel impact sur la sexualité des ados ?
Coachs en séduction : quel impact sur la sexualité des ados ?
D’après une entrevue avec Laurence Desjardins, sexologue et autrice
Vous ne les avez peut-être pas remarqués, mais depuis quelques années, un véritable phénomène explose sur les réseaux sociaux : les « coachs » en séduction.
Ces hommes hétérosexuels âgés de 18 à 35 ans qui cumulent des millions de vues sur internet, offrent à leurs auditeurs – des hommes hétérosexuels – des conseils teintés de misogynie pour « reconquérir leur virilité » et séduire un maximum de jeunes femmes.
D’où viennent ces nouveaux gourous ? Quel impact peuvent-ils avoir sur l’éveil à la sexualité des ados ? Comment aider votre jeune à prendre du recul par rapport à cette tendance ? 🤔
Voici un décryptage avec Laurence Desjardins, sexologue en éducation à la sexualité chez les adolescent-e-s et co-autrice du livre ON SEXPLIQUE ÇA Comment parler de sexualité avec son ado.
Qui sont les coachs en séduction sur les réseaux sociaux ?
Les Pick Up Artists (PUA) ou Artistes de la Séduction (AS), sont quelques-uns des noms de ces « coachs » qui se revendiquent « experts » de la drague. Leur technique, très codifiée, repose sur des principes de développement personnel et de psycho-pop. Partant du principe que la masculinité est menacée, ils encouragent une reprise de contrôle sur les femmes, selon eux le sexe faible, qui se doit d’être soumis et disponible. Pour reprendre une posture de « mâle dominant » (ou « mâle alpha ») et obtenir des faveurs sexuelles, ils n’hésitent pas à utiliser des stratégies de manipulation psychologique, telles que le « Push and pull » (faire un compliment avec une remarque déplacée) ou le « branch swinging » (se tourner vers un nouveau partenaire avant de mettre fin à notre relation actuelle).
Ces gourous font partie d’un mouvement que l’on appelle la « manosphère », un ensemble de communautés d’hommes hétérosexuels, faisant la promotion plus ou moins directe de valeurs misogynes et antiféministes. Née aux États-Unis dans les années 90, la manosphère connait un nouvel essor depuis les cinq dernières années grâce à de véritables stars du web qui ont fait fortune grâce aux réseaux sociaux, notamment sur les plateformes Tik Tok, Youtube ou Instagram.
📑 Petit lexique de la manosphère :
Femme séduisante.
Femme souhaitable.
Femme moyennement attirante, ordinaire.
Homme moyen et possiblement soumis.
Dans la communauté incel (la plus violente envers les femmes), il s’agit d’un homme qui provoque un fort intérêt sexuel de façon quasi universelle auprès des femmes grâce à son apparence, son statut social et ses revenus. Il « collectionnerait » ainsi les conquêtes sexuelles féminines, incapables de résister à son attraction. Selon leur théorie, le Chad représenterait 20% des hommes qui accapareraient 80% des femmes.
Il s’agit d’un terme péjoratif qui désigne l’acceptation des normes et des valeurs traditionnelles de la société en termes de relations hommes-femmes, même si elles sont néfastes pour eux. Dans la manosphère, cela indique une volonté de se soumettre au discours dominant et de vivre dans l’aveuglement.
Métaphore pour désigner l’adoption d’une vision plus critique des relations hommes-femmes et du discours dominant sur celles-ci. Les partisans de la red pill croient ainsi que la société est biaisée en faveur des femmes et que les hommes doivent en prendre conscience pour réussir leur vie professionnelle et personnelle.
Vision extrême et très pessimiste sur la société et les femmes, en particulier. Cette croyance repose sur le principe que les femmes sont intrinsèquement malveillantes envers les hommes, que les chances de réussir dans la vie sont nulles si on ne possède pas les attributs nécessaires pour y parvenir comme la beauté, la fortune et la reconnaissance sociale. Cette vision est à la base du mouvement incel, aujourd’hui interdit aux États-Unis.
Femme jugée trop émancipée et qui représente une menace pour la masculinité et l’ordre social.
Hommes qui s’identifient à la communauté incel ou qui se pensent rejetés des femmes et de la société pour leur apparence, leur personnalité ou leur statut social et qui souhaitent se révolter en adoptant des comportements discriminatoires ou violents envers elles.
Homme « gentil » qui ne parvient pas à trouver de partenaire romantique malgré ses qualités supposées et qui nourrit de la colère contre les femmes.
Mode de vie supposé des femmes qui multiplient les partenaires sexuels sans chercher à s’investir sur le long terme ou se marier, ce qui est jugé comme immoral.
Il s’agit de l’acronyme de « Childfree, Enjoying Life » qui signifie donc « Sans enfant, profitant de la vie ». Dans la manosphère, ce sont des hommes qui préfèrent se concentrer sur leur propre vie et leurs propres intérêts, sans assumer la responsabilité d’élever un enfant car cela les prive de liberté.
Terme péjoratif qui désigne une femme qui a des problèmes émotionnels ou psychologiques et qui aurait donc une valeur inférieure aux autres femmes.
Quel impact les propos misogynes des coachs en séduction peuvent avoir sur la sexualité des ados ?
En employant volontairement des propos masculinistes et choquants, les « coachs » en séduction génèrent de nombreuses réactions chez leurs auditeurs, majoritairement composés d’adolescents et d’hommes adultes. Tantôt amusés, tantôt convaincus ou même critiques, l’ampleur des likes, commentaires et partages contribue à largement diffuser ces idées, ce qui leur donne une certaine validité et les normalise. Car même si certains ados réussissent à garder de la distance avec ces propos, la force des algorithmes – qui vont dès lors pousser les contenus similaires – peuvent les rendre influençables.
En effet, dans une période où les adolescents découvrent leur sexualité et peuvent avoir une faible estime d’eux-mêmes, les coachs proposent un contenu et un ton qui peuvent leur apparaître attractifs. Des conseils de drague simples, délivrés comme des recettes faciles à appliquer, un ton à contre-courant, viril et provoquant : tout cela frappe l’imagination des jeunes. D’autre part, ces « coachs » se présentent comme des modèles de réussite qui performent dans tous les domaines traditionnellement associés à leur genre, soit le succès, la fortune, la force physique et le pouvoir d’attraction envers les femmes. Rapidement, ces « coachs » peuvent s’imposer comme des modèles de masculinité pour des jeunes qui n’ont pas encore développé toutes leurs capacités de jugement.
En pleine construction psychique de leur sexualité; les ados confrontés à de tels modèles risquent de développer un rapport biaisé de la rencontre de l’autre, des valeurs affectives, voir même, de la valeur même de l’autre. En effet, enseigner que la séduction doit se faire via la manipulation, la négligence des désirs de l’autre et l’absence de sentiment, peut influencer négativement le développement de leurs savoir-faire et savoir-être affectifs.
De plus, en présentant les femmes comme inférieures aux hommes et tenues de se soumettre, on induit l’idée que ces dernières n’ont pas le pouvoir d’agir sur leurs existences. Les jeunes, perméables et influençables, risquent de s’éloigner de la notion de relation affective égalitaire, de se refermer sur eux-mêmes et de développer une mentalité « elles contre nous ».
Comment aider son jeune à prendre du recul par rapport aux conseils donnés par les coachs sur les réseaux sociaux ? 📱
Avant d’engager la conversation avec votre ado, il peut être utile de vous intéresser à ces contenus en les consultant sur les réseaux sociaux.
Profitez ensuite d’un fait d’actualité, d’un film ou d’une situation vécue dans votre entourage pour parler des idées véhiculées par ces coachs en séduction. Demandez, par exemple, à votre ado :
• Si un influenceur en particulier attire son attention : de quoi parle-t-il ? Quels sont les messages qui attirent son intérêt ?
• Ce qu’il pense des techniques vantées par ces « coachs », de leur efficacité et de leur impact possible sur les relations affectives.
Vous pouvez ensuite lui rappeler que :
• Ces influenceurs tirent de nombreux profits en vendant des « conseils » qui ne reflètent pas la réalité ni la complexité des relations humaines ;
• Ces coachs misent sur les vulnérabilités des auditeurs ;
• Ils font largement usage de propos choquants et simplistes, de postures et de mises en scène provoquantes pour déclencher un maximum de réactions et assurer leur diffusion sur les réseaux sociaux, ce qui leur rapporte de l’argent ;
• Ces influenceurs proposent des stratégies pour la manipulation de l’autre pour créer une fausse confiance en soi, tout en manipulant leur auditoire ;
• Ils n’hésitent à mentir sur leur réussite en utilisant différentes techniques pour les faire paraître plus importants qu’ils ne le sont réellement.
N’hésitez pas non plus à lui proposer d’autres modèles masculins plus positifs provenant de votre entourage, des médias traditionnels ou de diverses communautés sportives, scientifiques ou culturelles.
Ainsi, sur les réseaux sociaux, certains influenceurs tournent régulièrement en dérision les propos de ces fameux coachs tels que l’humoriste Nicolas Lacroix (@nicoenvrai) ou l’acteur Axel Lattuada (@axellattuada).
D’autres proposent des modèles de relations, plus sains et respectueux tels que les comptes : @orgasmeetmoi, @jemenbatsleclito et @tubandes.
Dès le plus jeune âge, essayez d’entretenir une communication ouverte et sans jugement avec votre enfant pour qu’il se sente libre d’aborder de nombreux sujets, même les plus sensibles. Ce sera ainsi l’occasion de le sensibiliser à la notion de consentement, à l’importance de communiquer de façon ouverte, respectueuse et honnête avec son ou sa partenaire. Le plus important étant de respecter son désir et celui de l’autre tout en restant connecté à soi et à son-sa partenaire.
👉 Retrouvez tous nos conseils pour parler de relations amoureuses et de sexualité avec votre ado ici.
Enfin, pour aider votre jeune à résister aux idées toxiques portées par ces coachs, vous pouvez l’aider à développer sa confiance en lui pour lui permettre de prendre des décisions plus éclairées, en phase avec ses valeurs 💙.
Tous nos outils pour aider votre jeune à développer une saine estime de soi