ChatGPT et travail scolaire : amis ou ennemis ?

ChatGPT et travail scolaire : amis ou ennemis ?

D’après une entrevue avec Mélissa Canseliet, experte en cyberpsychologie

L’école a repris et, plus que jamais, la question de l’impact des intelligences artificielles (IA) telles que ChatGPT se pose.

Grâce à la force de son intelligence, elle est en effet capable de rédiger des dissertations complètes, de résumer un livre ou de bâtir le plan et les contenus d’une présentation orale.

Est-ce pour autant la fin de la réflexion et de l’effort chez les jeunes ?

À New York, les écoles ont décidé d’interdire ChatGPT sur tous les appareils et réseaux des écoles publiques. Jenna Lyle, porte-parole du département de l’éducation de la Ville, affirme ainsi que « Si l’outil peut fournir des réponses rapides et faciles aux questions, il ne permet pas d’acquérir des compétences en matière de réflexion critique et de résolution de problèmes, qui sont essentielles à la réussite scolaire et à la réussite tout au long de la vie. ».1

Les dérives de ces technologies paraissent en effet évidentes mais le tableau est-il pour autant si sombre ? Quelles opportunités ces IA pourraient-elles créer ? Décryptage de Mélissa Canseliet, experte en cyberpsychologie et fondatrice d’Humanet.

PLAGIER DES CONTENUS EN LIGNE POUR FAIRE SES DEVOIRS D’ÉCOLE EST-IL UN PHÉNOMÈNE NOUVEAU ?

Depuis qu’Internet existe, de nombreux·ses élèves ont appris à utiliser les contenus mis à disposition sur la toile pour faire leurs devoirs. Dissertations déjà rédigées, résumés de livres mis à disposition : les possibilités de tricheries sont abondantes. Les écoles ont ainsi dû s’adapter en se procurant des logiciels pour débusquer les textes plagiés dans les devoirs rendus par leurs élèves. Alors qu’est-ce qui a réellement changé aujourd’hui ?

Avec ses capacités de générer des contenus sophistiqués de façon personnalisée, ChatGPT offre aujourd’hui des possibilités jamais égalées aux élèves. Au Québec, certain·e·s enseignant·e·s se sont ainsi organisé·e·s avec le groupe Facebook « Chat GPT et IA en éducation » pour débusquer les tricheries et ChatGPT lui-même a mis au point un outil pour aider les enseignant·e·s à détecter les fraudes. Mais on peut se douter que, malgré ces tentatives de contrôle, les utilisateur·rice·s des IA seront de plus en plus doué·e·s pour contourner les failles des systèmes, d’autant plus que ces nouvelles technologies ne cessent de s’améliorer et de leur fournir les moyens de le faire.

EST-CE QUE L’UTILISATION DE CHATGPT DANS LES TRAVAUX D’ÉCOLE RISQUE DE PROVOQUER DU DÉSINVESTISSEMENT SCOLAIRE ?

Lorsqu’on parle d’investissement scolaire, on parle de motivation. Selon Mélissa Canseliet : « La motivation est un élan qui découle de la récompense perçue pour un effort fourni. Plus la perspective de cette récompense est forte, plus la motivation augmente et plus on est à même de fournir un effort ». Or, à l’adolescence, le cerveau des ados est particulièrement prompt à réagir à la récompense.

En effet, les différentes zones du cerveau des ados ne se développent pas toutes à la même vitesse. Ainsi, le système limbique, qui est à l’origine du traitement des émotions et du sentiment de gratification se développe avant que le cortex préfrontal, qui est à l’origine du jugement, de la planification ne soit complètement développé. Or, c’est le cortex préfrontal qui contrôle le système limbique.2

On comprend donc aisément pourquoi les jeunes préfèrent avoir recours à l’IA pour faire leurs devoirs car cela leur fourni une récompense facilement (la fameuse bonne note). Mais cela ne va-t-il pas, à terme, affecter leur investissement scolaire ? En effet, comment continuer d’être stimulé quand le jeu est truqué, quand travailler perd son sens et que les récompenses ne découlent pas de ses efforts de recherche, de son raisonnement et de sa capacité à créer quelque chose d’unique ?

Continuer à enseigner et à évaluer le travail scolaire avec le fonctionnement actuel parait donc voué à l’échec, ce qui va dans le sens de la prise de position de la ville de New York et des appels à la régulation de l’IA par les enseignant·e·s au Québec.

Mais n’y-a-t-il pas une opportunité d’utiliser ces technologies pour développer d’autres compétences chez les jeunes ? En effet, notre monde change et les savoir-faire dont nous avions besoin auparavant sont également amenés à évoluer.

COMMENT CHATGPT PEUT-IL ÊTRE UNE OPPORTUNITÉ POUR L’ÉDUCATION DES JEUNES A L’ÉCOLE ?

Selon Mélissa Canseliet, « pour le monde de l’éducation, il y a l’opportunité de valoriser des compétences particulièrement humaines, qui ne sont pas encore modélisées par l’IA. Celles-ci permettraient notamment aux adolescent·e·s d’être en pleine cohérence avec des fonctions cognitives qui se développent chez eux·elles. On pense ainsi à la pensée critique, à l’intelligence émotionnelle, à la communication qui se développent particulièrement à cet âge-là, ce qui leur offrirait une grille de lecture par rapport à ce qu’ils·elles sont en train de vivre.

De plus, dans un monde professionnel en plein bouleversement où les connaissances techniques sont amenées à être de plus en plus automatisées, les compétences douces* (ou soft skills) vont devenir de plus en plus importantes. En axant d’avantage l’éducation sur ces aspects, on créerait un pont évident entre les apprentissages scolaires et ce qui est valorisé dans le milieu professionnel. Tout cela aurait comme conséquence de redonner du sens au travail scolaire et d’augmenter l’investissement des jeunes ».

Mais comment y parvenir ?

Changer la manière d’enseigner est un vaste projet qui demande de la réflexion et des efforts mais cela peut représenter une véritable opportunité pour permettre aux futures générations de s’adapter au monde de demain.

Dans cette optique, différentes organisations ont tenté de répertorier les qualités nécessaires aux citoyen·ne·s du 21ème siècle. Selon le modèle P213, sans doute le plus abouti, il y aurait 12 compétences essentielles réparties en trois catégories :

👉 Les compétences cognitives (4C) : pensée Critique, Créativité, Coopération, Communication.
👉 Les compétences de littération : capacité à naviguer dans l’information, à utiliser les médias et la technologie.
👉 Les compétences liées au quotidien : flexibilité, initiative, sociabilité, productivité, leadership.

Face à l’essor de l’intelligence artificielle, ces compétences profondément humaines sont ainsi difficilement informatisables, du moins à moyen terme.

COMMENT INTÉGRER CONCRÈTEMENT CHATGPT À L’ENSEIGNEMENT DANS LES ÉCOLES SECONDAIRES ?

Se limiter à réorganiser le système d’évaluations des connaissances en présentiel pour faire face à ChatGPT serait passer à côtés de toutes les possibilités qu’offre l’IA.

En effet, pourquoi ne pas commencer par valoriser la pensée critique des élèves et leur capacité d’expression en les interrogeant sur ce nouvel outil ?

  • Quels sont leurs constats sur l’utilisation de l’outil ? Quelle est leur expérience personnelle ?
  • En quoi l’outil les a aidés et quelles sont ses limites dans la résolution du problème qui était posé ?
  • Comment ces nouvelles technologies peuvent impacter leurs points de vue, leur manière d’orienter leurs travaux ou leur parcours personnel ou scolaire ?

D’autre part, il pourrait être intéressant de revoir la composition et l’évaluation des devoirs. Plutôt que de limiter les présentations orales des élèves à un recueil d’informations à organiser et à restituer sous forme d’un exposé en classe, pourquoi ne pas y ajouter l’organisation d’une discussion portant sur le thème de la présentation ? L’essentiel de la note serait ainsi déterminé par la capacité de l’élève à convaincre ses camarades de participer à la conversation en imaginant un sujet attractif et propice à l’échange puis de mener la discussion de façon intéressante et constructive avec ses pairs.

De même, un·e enseignant·e en français pourrait demander à ses élèves d’exprimer leur avis critique sur un livre devant la classe et, suite à cela, d’animer un échange avec les autres élèves. Un·e enseignant·e en mathématiques pourrait proposer des travaux où les élèves devraient collaborer pour résoudre des problèmes mathématiques complexes, débouchant sur une restitution en classe etc.

Bien entendu, tous ces changements ne peuvent pas se faire en un jour et nécessiteront de profondes remises en question à tous les niveaux de l’enseignement.

 

En attendant, il est possible de croire que l’IA ne rendra pas les futures générations plus paresseuses et fainéantes mais sans doute moins motivées à travailler si le système éducatif n’opère pas de profonds changements. En redonnant toute leur place aux compétences douces, nous nous donnons la chance de maintenir la mobilisation des jeunes à l’école et de bâtir une génération qui saura faire face aux défis spécifiques de notre monde en perpétuelle évolution.

Écoutez notre webconférence sur l'échec scolaire pour savoir comment y faire face et aider un·e jeune en difficultés.

*Compétences douces (soft skills) : cette notion regroupe les compétences comportementales, relationnelles et transversales. Contrairement aux compétences dures (hard skills) qui correspondent à des compétences techniques et académiques, les compétences douces sont davantage liées à la personnalité de chacun, au savoir-être et donc aux qualités humaines.

 

Sources

1https://www.nbcnews.com/tech/tech-news/new-york-city-public-schools-ban-chatgpt-devices-networks-rcna64446
2https://www.ted.com/talks/sarah_jayne_blakemore_the_mysterious_workings_of_the_adolescent_brain?subtitle=fr
3https://www.competencesdu21emesiecle.com/decouvrir/qu-est-ce-que-les-competences-du-21eme-siecle/

 

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