Débat entourant la transidentité :

Quels sont les impacts sur la santé mentale des jeunes trans et non binaires ?

Débat entourant la transidentité :

Quels sont les impacts sur la santé mentale des jeunes trans et non binaires ?

 

D’après une entrevue avec Dre Lou-Ann Morin, psychologue

Des manifestations de parents qui font la une des journaux, des discours violents sur les réseaux sociaux, de récentes lois votées qui limitent les droits des personnes trans et non binaires, des actes de haine qui augmentent : quelles conséquences ces actualités ont-elles sur la santé mentale des jeunes issu·e·s de la diversité de genre ?

On peut aisément comprendre que le doute et les craintes puissent s’installer dans leurs esprits, alors que ces jeunes sont déjà dans un processus de quête de soi qui comprend plusieurs étapes complexes et parfois laborieuses.

En tant que parent ou membre du personnel scolaire, comment éviter les pièges de la polarisation et du contexte social clivant afin d’amener vos jeunes à développer des postures inclusives et proactives qui sont respectueuses de la diversité de genre ?

Décryptage de la situation et conseils de la Dre Lou-Ann Morin, psychologue et enseignante au collège de Maisonneuve en psychologie, spécialisée dans les questions touchant les personnes de 14 ans et plus, issues des communautés LGBTQ+.

EST-CE QUE LE DÉBAT SUR L’IDENTITÉ DE GENRE EST UN PHÉNOMÈNE NOUVEAU ?

D’après la Dre Lou-Ann Morin, psychologue, les discussions enflammées sur l’identité de genre sont loin d’être nouvelles. À partir des années 60 où le sujet a commencé à être documenté dans le domaine de la santé, les remises en question n’ont jamais cessé de refaire surface.

En effet, c’est une grande partie de notre société qui est basée sur la division binaire des genres et ce, avant même que les enfants naissent. Les « gender reveal party » sont bleues ou roses, les prénoms mais aussi les vêtements et les jouets des enfants suivent les mêmes tendances qui tendent à conditionner les individus en société selon leur sexe assigné à la naissance.

Sans s’en rendre compte, les parents peuvent influencer, via leurs comportements et attitudes issues de la socialisation, la découverte du genre de leur enfant pour qu’iel réponde à ces injonctions de genre. Prendre conscience que la réalité de son enfant diverge de ses attentes en tant que parent peut ainsi atteindre profondément les croyances de certaines familles qui sont elles-mêmes influencées par des biais culturels et sociaux davantage binaires.

De plus, ce phénomène est renforcé par la tendance naturelle qu’à l’esprit humain de faire des raccourcis cognitifs face aux phénomènes qu’il connaît mal. La transidentité et la non-binarité étant des sujets très complexes avec de nombreuses nuances, il peut être difficile pour certaines personnes de bien comprendre ces questions et il est alors tentant de verser dans les stéréotypes et les préjugés.

D’autre part, selon la psychologue, le fait de mettre de l’avant ouvertement les parents qui manifestent contre la transidentité et qui adoptent un discours de méfiance peut laisser penser, à tort, qu’ils représentent une bonne partie de l’opinion. Or, dans les faits, la majorité des familles est beaucoup plus nuancée. Certaines peuvent ainsi simplement se questionner face à la transidentité dont on parle davantage aujourd’hui étant donné le manque généralisé de connaissances pointues sur le sujet :

« Est-ce un phénomène de mode ou des réalités qui ont toujours existé ? »
« Est-ce qu’en parler dès le plus jeune âge peut influencer les enfants dans leur développement ? »
« Est-ce qu’un·e jeune trans ou non-binaire pourrait subir de la violence ou de la discrimination à l’école ou ailleurs ? »

Plus que du rejet, certains parents sont avant tout en proie à la méconnaissance et à l’anxiété face à ce sujet complexe et délicat.

QUELLES SONT LES CONSÉQUENCES DU DÉBAT SUR LA TRANSIDENTITÉ SUR LA SANTÉ MENTALE DES JEUNES TRANS ET NON-BINAIRES ?

De récentes études démontrent que les dernières actualités ont engendré une augmentation de la détresse psychologique des jeunes trans et non binaires qui sont sujet·te·s à plus de ruminations. Car même si les ados suivent moins l’actualité que les adultes, les jeunes non-binaires et trans peuvent subir de l’intimidation et de la discrimination sur les réseaux sociaux et à l’école.

Plus précisément, ces jeunes peuvent être affecté·e·s par le stress de minorité, un stress chronique qui peut les poursuivre jusque dans leur sommeil et qui, à terme, peut impacter leur santé physique et mentale.

Ainsi, certaines études tendent à démontrer que les personnes trans et non-binaires sont, par exemple, plus concernées par les problèmes cardiaques et ont une espérance de vie plus courte à cause de la marginalisation dont ils et elles font l’objet.

Au niveau psychologique, les jeunes vont développer d’autant plus de symptômes de stress et de ruminations qu’iels vont percevoir qu’une partie de la population est en accord avec la discrimination dont iels font l’objet. À terme, cela peut les conduire vers la dépression, voir même à développer des idées suicidaires.

Ce stress minoritaire peut aussi les amener à craindre d’aller à l’école ou d’avoir recours au système de santé, pas toujours outillé pour répondre adéquatement à leurs besoins. Cela est d’autant plus vrai que les remises en question actuelles de la transidentité peuvent pousser certains médecins à ne pas vouloir accompagner les jeunes dans leur transition, ce qui alimente l’angoisse des jeunes.

Selon les lignes directrices relatives aux élèves transgenres de la commission scolaire de Montréal, au Québec, un·e professionnel·le de la santé ne peut pas refuser d’offrir des soins à une personne trans. Il ou elle a le devoir de référer un·e patient·e s’il ou elle ne se sent pas apte à offrir des soins avec une approche transaffirmative.

Face au manque fréquent de compréhension et aux micro-agressions qu’iels vivent au sein de la société, les ados trans et non-binaires peuvent également hésiter à dévoiler leurs identités dans leurs sphères sociales et intimes et/ou faire face à une cellule familiale qui ne souhaite pas les laisser faire leur transition librement pour leur éviter d’avoir des « regrets ». En réalité, les études démontrent que les regrets concernent une partie très minoritaire des ados trans et non binaires. De plus, l’expression de cette peur des regrets chez les parents tend à accentuer le mal-être des jeunes trans plutôt que de prioriser les besoins de santé qui sont souvent cruciaux au bien-être psychologique.

Cette fermeture diminue non seulement les possibilités des ados trans à explorer leur identité mais elle peut également aboutir à une intériorisation de la transphobie. Les ados peuvent ainsi développer un sentiment de honte et adopter des comportements destructeurs comme la consommation de drogues ou d’alcool et l’automutilation.

Or, selon une étude ontarienne de 2010, le support des parents et de la société réduit de 93% le nombre d’idéations suicidaires. Une autre étude démontrait en 2010 que le simple fait d’utiliser les bons pronoms réduisait de 50% les tendances dépressives chez les jeunes non-binaires et trans.

Car rappelons-le : le simple fait d’être un·e ado trans ou non-binaire n’est pas une condition de santé mentale problématique en soi. C’est le rejet de la société et des proches qui créent de la détresse chez les jeunes car les personnes trans ou non-binaires qui reçoivent du soutien peuvent avoir une très bonne qualité de vie et réussir dans toutes les sphères de leur existence.

EN TANT QUE MEMBRE DU PERSONNEL SCOLAIRE : QUEL DISCOURS ADOPTER SUR LA TRANSIDENTITÉ ET LA NON-BINARITÉ EN CLASSE ?

Si vous souhaitez sensibiliser vos élèves à cette question, il est indispensable de vous informer adéquatement pour mieux comprendre les réalités trans et faire le point sur vos propres biais pour ne pas relayer malgré vous des stéréotypes.

Cependant, même si vous êtes bien informé·e·s, la psychologue Lou-Ann Morin indique qu’il est préférable de faire appel à des intervenant·e·s extérieur·e·s spécialisé·e·s comme la Coalition des familles LGBTQ+ ou les GRIS pour sensibiliser vos élèves sur ce sujet avec toutes les nuances nécessaires. Car même si des réactions hostiles ont lieu pendant la présentation, les ados trans ou non-binaires qui y assisteront verront que les intervenant·e·s savent y répondre avec confiance. C’est, en effet, beaucoup moins dommageable pour ces jeunes que de voir son enseignant·e hésiter et laisser certains propos discriminants ou violents s’exprimer sans y apporter de réponse concrète et proactive.

👉 Il est important également de ne pas désigner un·e élève trans devant ses pairs pour lui demander son opinion sur la transidentité. Pour montrer votre ouverture à la diversité, commencez plutôt par donner vos pronoms devant votre classe. L’attention sera ainsi sur vous plutôt que sur votre élève.

👉 Évitez également d’aborder la question sous un angle purement théorique. En effet, organiser un débat en classe sur l’idéologie du genre risque de déshumaniser la question et de faire sentir les jeunes trans ou non-binaires comme des objets de curiosité, ce qui augmente leur stigmatisation.

👉 En dehors de ces moments d’échange, il est indispensable d’adopter une politique de grande fermeté face aux attaques transphobes qui pourraient être prononcées dans l’enceinte de l’école, au même titre que les propos racistes, homophobes ou misogynes.

👉 Dans le cas où un·e élève viendrait se confier sur ses difficultés en tant que personne trans, il est essentiel de commencer par lui demander comment iel souhaite que vous le·a nommiez, quel pronom utiliser et qu’est-ce que vous pouvez faire pour l’aider. En effet, si l’élève est victime d’intimidation ou de discrimination, vous pouvez lui proposer des solutions mais il est important de lui laisser la possibilité de choisir parmi celles-ci. Ne cédez donc pas à votre envie de bien faire en prenant position avec force pour votre élève devant ses pairs sans lui avoir demandé, au risque d’aggraver encore ses problèmes.

Lou-Ann Morin cite, par exemple, le cas d’un jeune trans qui était gêné d’aller à la salle de bain car cela le forçait à affronter le regard des autres. Un enseignant lui a dit d’aller à la toilette des profs mais cela a aggravé la stigmatisation de l’ado car tout le monde l’a vu y aller.

👉 Simplement s’intéresser à l’ado, lui montrer qu’on le.a soutient et rester à l’écoute de ses besoins fera la différence. Par exemple, lors des travaux de classe, n’hésitez pas à lui demander s’iel souhaite se mettre avec un·e ami·e compréhensif·ve et bienveillant·e plutôt que de lui imposer un groupe d’élèves.

Gardez aussi à l’esprit que les jeunes sont en pleine construction : il est donc possible que leur identité change à plusieurs reprises, ainsi que leur nom, pronom et leur habillement. Vous adapter à ces changements constituera un grand réconfort pour l’ado qui percevra l’école comme un espace sécuritaire.

Enfin, n’hésitez pas à vous faire aider par l’équipe-école pour venir en aide à un·e jeune trans qui ferait face à de la détresse psychologique.

📑 Petit lexique de la transidentité :

Elle est déterminée dès la naissance en fonction des caractéristiques physiques de l’enfant. Une pression sociale, médicale et légale précoce s’exerce ainsi pour classer les enfants en tant que fille ou garçon en fonction de l’apparence de leurs organes génitaux externes principalement. Au Québec, le sexe assigné à la naissance doit être déclaré dans les trente jours suivant la naissance du bébé auprès du Directeur de l’état civil afin de se conformer au protocole sous peine de pénalité financière.

Elle reflète le sentiment intrinsèque, intime et profond de se sentir ou d’être garçon, fille, ou encore une personne sur le spectre de la non-binarité, c’est-à-dire définir son identité de genre en dehors des catégories binaires traditionnelles.

Le mot « trans » est aujourd’hui utilisé comme un mot parapluie qui englobe plusieurs réalités. Une personne trans est une personne qui a une identité de genre différente de celle qui lui a été assignée à la naissance. Par exemple, un homme trans est une personne qui a été assignée femme à la naissance et qui s’auto-identifie comme homme, alors qu’une femme trans est une personne qui a été assignée homme à la naissance et qui s’auto-identifie comme femme. Ce mot parapluie est celui le plus couramment utilisé lorsque vient le temps de parler des personnes trans.

La non-binarité fait partie du spectre de la transidentité. Très diversifiée, elle possède une multitude de définitions étant donné la grande diversité des personnes qui s’identifient sur ce spectre. Les personnes non-binaires, notamment celles qui se décrivent comme fluides ou créatives, peuvent naviguer entre les genres féminin et masculin en exprimant leurs identités de diverses manières. Cette réalité fait souvent appel à l’utilisation de pronoms neutres comme iel ou d’autres néo-pronoms.

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